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12 avril 2024 - 1796 à 1996 : de GARDON à SCHLUMBERGER (1ère partie)

14 Juin 2024

Si sa création dépend de la volonté d’un ou plusieurs entrepreneurs, si ses premières années sont liées à la conjoncture économique et politique, sa pérennité relève d’une conjonction complexe de facteurs sociaux, économiques, culturels, tout autant que de l’influence des hommes dans les périodes d’accélération de son histoire : une mémoire du passé, un regard sans concession sur le présent, une vision claire de l’avenir, une audace dans les moments difficiles, un acharnement à coller à la pointe du progrès. 

La personnalité des fondateurs de «la Fonderie» et l’idée qu’ils se faisaient de leur rôle de dirigeants ont insufflé une qualité d’esprit d’entreprise qui a permis à la première manufacture mâconnaise de traverser les périodes troublées de 1796 à 1870. 

Rachetée en 1878 par les frères Thevenin, devenant en 1908 «Louis Seguin & Cie», elle reste malgré son importance sur Mâcon une entreprise artisanale et familiale jusqu’en 1963, date à laquelle Amédée Seguin, décide de construire une usine moderne dans la zone industrielle des Bruyères. 

Après un déménagement, deux absorptions, quelques restructurations, la société Seguin, devenue une filiale des Compteurs Schlumberger, partie de Flonic Schlumberger, puis de Schlumberger Industries, est devenue l’entreprise la plus moderne de la région dans son secteur d’activités. 

«La Gardon», pendant 200 ans, a été le moyen d’existence d’une partie des Mâconnais, et a marqué l’histoire de la ville. 

Il est utile et intéressant d’éclairer son passé, à la lumière des écrits parvenus jusqu’à nous et du témoignage des anciens … 

1796 - 1835 Benoit GARDON 

Il naît le 28 juillet 1772 à Lyon, d’un père forgeur, illettré, qui ne peut signer l’acte de baptême. Marié en 1793 dans la paroisse St-Vincent de Lyon, il déménage à Pont-de Vaux pis à Mâcon au 4, rue des Droits de l’Homme ou rue des Selliers, actuellement au 8 rue Philibert-Laguiche.

Vers 1802, il se approche de son lieu de travail en occupant la maison sise au numéro 17, incluse aujourd’hui dans l’ancienne clinique Denis. Puis il construit sa maison dans le périmètre de l’usine ; c’est la moitié nord de la maison actuelle du 3 cours Moreau, qui servit de bureaux et de logements à la direction jusqu’au déménagement à la zone industrielle des Bruyères. 

Il crée une fonderie de bronze, première entreprise artisanale de Mâcon 

1796 : pourquoi en s’établissant à Mâcon vers 1795 Benoit Gardon, auparavant potier d’étain, est-il devenu fondeur de bronze ? En ces temps de guerre nationale, où l’on se battait sur toutes les frontières, il était plus patriotique, et probablement plus profitable, de fabriquer des pièces d’équipement en bronze plutôt que des pots d’étain. 

Les méthodes de fabrication (moulage, noyautage, coulée) étaient sensiblement les mêmes, quoique d’une difficulté nettement plus grande. 

La date exacte de sa première coulée de bronze est inconnue. Un document prouve qu’au début de l’année 1797, Gardon était déjà un petit patron. 

En 1799, première trace de l’activité officielle des Gardon : 

«séance du fructidor an VII de l’administration municipale, 

vu le mémoire présenté par le citoyen Gardon en cette commune, duquel il a livré à l’Administration huit boëts en cuivre de canon pesant ensemble 107 livres à raison de deux francs la livre...» 

La fonderie 

Les matières premières utilisées par les Gardon ont diverses origines : le cuivre rouge vient de Russie, d’Angleterre ou du Pérou, le zinc de Silésie, l’étain d’Angleterre, le plomb d’Espagne, mais la majeure partie vient de France : vieux bronze ou vieux cuivre jeune. Les objets fabriqués ont d’abord été des pièces d’équipement en bronze et des cloches, puis de la robinetterie vinicole et de l’équipement ménager en laiton. En 1826, on produit 10 000 paires de chandeliers, 3000 douzaines de robinets, objets d’église, divers ustensiles de ménage, sonnettes (avec lesquelles ces dames appellent leurs soubrette) et grelots. 

En 1839, on fabrique 85 tonnes de robinets, chandeliers, poêlons, lampes, flambeaux, fontaines à soutirer, pompes et tous les bronzes pour usine. 

En 1860, la production monte à 145 tonnes. 

30 août 1835 :décès de Benoit Gardon 

Les obsèques de Benoit Gardon, chevalier de la Légion d’Honneur et membre du conseil municipal de cette ville, ont marqué les annales de la ville de Mâcon. M. Gardon père, de simple ouvrier fondeur, était parvenu à force de talent, d’économie et de persévérance, à créer un des établissements industriels «les plus considérables et les plus célèbres de France, la fonderie de cuivre de Mâcon». 

La perfection qu’il avait su donner aux produits de sa fabrique, jointe à la modicité du prix, avait depuis longtemps assuré à ces produits la supériorité sur tous ceux des établissements rivaux. 

Le Journal de Saône-et-Loire du 2 septembre 1835 reproduit l’’oraison funèbre que le maire, M. Defranc, a prononcé au milieu d’un concours immense de spectateurs :

«Une population reconnaissante accompagne dans son dernier asile ce citoyen dont la vie fut un bienfait et la mort une calamité publique… La Ville de Mâcon est devenue depuis quarante ans la patrie adoptive de Benoit Gardon. Il vint pauvre au milieu de nous : les faveurs de la fortune qu’il doit à son travail, à l’ordre et à l’économie, n’ont jamais changé ses habitudes laborieuses et modestes. 

Nous devons à ses peines la création d’une industrie toujours croissante et dont la France entière a profité. L’état de prospérité d’un établissement dont les commencements ont été durs et pénibles, ses succès, ses travaux, sa réputation ont appelé sur son utile créateur des distinctions honorables et méritées. 

Les infortunes qu’il a soulagées, les regrets et les larmes de sa famille, de ses concitoyens, de ses ouvriers dont il était le père, voilà le plus bel éloge...» 

ICI REPOSE BENOIT GARDON, MANUFACTURIER CHEVALIER DE LA LÉGION D’HONNEUR, NÉ À LYON LE 29 JUILLET 1772, DÉCÈDE À MÂCON LE 30 AOÛT 1835 SES ENFANTS ET SES CONCITOYENS ONT ÉLEVÉ CE MONUMENT DE LEURS REGRETS ET DE LEUR RECONNAISSANCE 

Le régime paternaliste pratiqué par M. Gardon dans sa manufacture aurait pu «servir de modèle aux établissements industriels les plus splendides» de cette époque, soutint Charles de Lacretelle le 12 septembre 1842, dans une séance de l’Académie de Mâcon sur le thème «les conditions vitales de l’industrie, ses bénéfices et ses dangers. 

M. Gardon lègue d’importantes sommes d’argent à la Municipalité de Mâcon, aux Hospices, aux écoles primaires, et à ses ouvriers. «Noble usage d’une fortune honorablement acquise, exemple malheureusement trop rare d’un patriotisme véritable, mais qui ne peut manquer de trouver un jour quelques imitateurs dans le sein d’une population aussi riche que la nôtre». 

La fontaine Gardon 

Deux mois et demi avant son décès, Benoit Gardon avait rédigé son testament. Il chargeait son fils Jean-Baptiste de verser 12 000 francs à la Ville de Mâcon pour entreprendre la construction d’une fontaine. Trois jours avant sa mort, il complète ce legs par un don supplémentaire de 28 000 Frs pour achever la fontaine ou «pour autre chose que le Conseil municipal jugera convenable». 

6 août 1837 : pose de la première pierre en présence du Préfet. Extraits du Journal de Saône & Loire du 9 août 1837 : «dimanche, à quatre heures de l’après-midi, le conseil municipal de Mâcon, un détachement de la Garde Nationale, MM. Les curés de St-Vincent et de St-Pierre, MM. Les adjoints, M. le maire et M. le Préfet du département, se sont rendus sur la place Saint-Antoine pour la pose de la première pierre du monument que la ville préfectorale doit à la munificence de feu M. Gardon. 

Plusieurs pièces de monnaie au millésime de 1837, et un procès-verbal rappelant le don fait à la ville par un de ses honorables concitoyens, ont été déposés, enfermés dans une boîte de plomb, sous la pierre fondamentale» 

La Place Gardon 

Le 24 septembre 1837, la Place Saint-Antoine est débaptisée : on lui donne le nom de place Gardon. La fontaine coûtera à peine 12 000 francs. Une partie du legs servira à équiper de pompes les puits de Mâcon qui n’en étaient pas pourvus : on dénombre 22 puits publics à Mâcon en 1855. 

20 mai 1992 : transfert de la fontaine Gardon au centre du rond-point du même nom. Jusqu’à ce jour, la fontaine Gardon trônait entourée de véhicules en stationnement, sur le parking de la place Gardon, situé à l’angle du Cours Moreau, des rues Saint-Antoine et du 28 juin. 

Le carrefour était emprunté par des milliers d’automobilistes. En aménageant un giratoire au centre de ce carrefour, on améliore la sécurité et on libère vingt places de stationnement supplémentaires sur le parking avec le transfert de la fontaine Gardon au centre de ce rond-point. 

La fontaine est devenue un monument ! Lors de son transfert, 155 ans après la pose de la première pierre, on retrouve avec émotion la cassette de plomb, scellée et renfermant quatre pièces de monnaie de 1835 et 1837. 

Cette «preuve authentique de cette solennité», fait aujourd’hui partie des collections du Musée des Ursulines. 

1835 – 1870 JEAN BAPTISTE GARDON 1866 – 1878 GARDON Père et Fils & RENARD 

A la suite du décès de son père, Jean-Baptiste Gardon né en 1799, troisième enfant de Benoit, prend la direction de la manufacture, alors en pleine prospérité. 

Le paternalisme des Gardon 

Il se résume en trois phrases : 

Faire vivre l’ouvrier et sa famille, 

Lui donner l’exemple du travail, 

Lui inculquer l’idée d’économie. 

Faire vivre l’ouvrier et sa famille : en 1815, Gardon fait vivre trente ouvriers et leurs familles, malgré deux ans d’interruption de la production. En 1833, le Préfet atteste que le salaire des ouvriers n’a jamais varié, alors même que les débouchés étaient moins de crise commerciale nombreux. On travaille onze heures par jour, six jours par semaine. 

Les enfants en-dessous de 16 ans constituent environ 10% de l’effectif. Les ouvriers travaillent pratiquement jusqu’à la fin de leur vie : les vieillards occupent des postes moins contraignants physiquement, comme le contrôle des pièces en sortie de fonderie, les épreuves à la fin du montage, le tri des scories... 

En 1851, le Préfet écrit au ministre que Gardon J.B, durant les quinze mois de crise commerciale causée par la Révolution de 1848 « puisé dans son patriotisme et ses sentiments d’humanité, trouve le moyen de conserver tout son personnel d’ouvriers, malgré l’encombrement de ses produits».

En 1814, puis en 1815, Mâcon connaît l’invasion puis l’occupation autrichienne. Gardon s’adresse au Préfet le 28 octobre 1815 pour lui demander d’être exonéré ce dont il a été frappé, comme contribuable important. 

«Chef d’un atelier où il occupait plus de trente ouvriers, depuis deux ans, cet atelier a presque été continuellement fermé et n’est même ouvert que depuis quelques jours. L’exposant a néanmoins conservé tous ceux de ses ouvriers qui sont dans l’indigence et c’est le plus grand nombre. Il a nourri et continue à nourrir père, mère et enfants ; il est constant que, depuis la cessation du travail, sans lui, ces familles auraient été à la charge de la ville. Mais à Mâcon, on ne sait pas y maintenir , ni encourager, les établissements qui, par leur travail, viennent au secours de l’indigent». 

Donner à l’ouvrier l’exemple du travail : Dans l’éloge funèbre de Jean-Baptiste Gardon, dans le journal de Saône-et-Loire de décembre 1870 : Homme de grande fortune et de grande charité, M. Gardon jouissait de la popularité durable de la bienfaisance et de la pitié pour les souffrances humaines. 

Il était bon mais sévère. Figure à l’aspect militaire, il imposait la discipline à ses ouvriers et se l’imposait à lui-même.Le premier et le dernier au travail, ouvrier volontaire pour être meilleur chef d’usine. Il aimait ses ouvriers, se plaisait avec eux. Son père, devenu chef d’industrie, était un éclatant exemple que le travail peut monter au capital et que leur alliance est la guérison de la douloureuse question sociale. 

De 30 ouvriers en 1815, la manufacture passe à 60 en 1826, 90 en 1839, 135 en 1860 et s’affirme comme la première entreprise de Mâcon. 

Inculquer à l’ouvrier l’idée d’économie : Benoit Gardon est un des fondateurs de la Caisse d’Epargne en 1833 et son fils Jean-Baptiste en fut directeur de 1836 à sa mort en 1870. 

Dans son éloge, Vauclin, le directeur de l’époque, écrit le 2 avril 1871 : «M. Gardon avait forcé ses ouvriers à avoir un livret. Ainsi, en 1848, ces ouvriers ont pu, sans trop de gêne, supporter le temps du chômage. 

En 1850, J-B. Gardon fonde la Société de Secours Mutuel dite «la Mâconnaise». Outre les prestations habituelles de nos jours, il est prévu que le malade soit assisté par les associés en chômage, rémunérés pour cela : c’est vraiment une Société de secours mutuel. 

Un journaliste visitant l’usine en 1867 déclare : 

«Le tumulte des grèves ne se produira jamais autour de cette maison paisible où les ouvriers n’ont pas un patron, mais un père… Cela se devine au simple regard jeté dans les ateliers. Tous les ouvriers depuis l’enfant qui lime sa première pièce, jusqu’au vieillard qui crible les scories, ont l’air heureux. C’est la meilleure sanction qu’une administration pareille puisse ambitionner». 

Le réconfort apporté aux sinistrés de l’inondation de 1840 

La crue de janvier 1955, dont le souvenir est encore vif dans la mémoire des anciens, atteignit 6,96 mètres. Celle du 4 novembre 1884 restera dans les annales de la Saône : 8,05 mètres au pont de St-Laurent. Il y eut dans toute la vallée des milliers de maisons détruites, dont 30 à Mâcon et 115 à Cormoranche, où la famille Gardon possédait le château de Montportail, situé au hameau de Corney.

«En 1840, il (Lamartine) est de ceux, qui avec les notables les plus en vue, et notamment la famille Gardon, apportent un réconfort et une aide substantielle aux sinistrés de l’énorme inondation qui en octobre-novembre ravage les bas quartiers de Mâcon et les communes les plus basses de la vallée de la Saône (Cormoranche, absolument isolé, est ravitaillé et secouru par la gondole que lui envoie M. Gardon. (Emile Magnien) 

Journal de Saône-et-Loire du 11 novembre 1840 : 

Il est à Mâcon, une famille dont la conduite, dans ces jours calamiteux, est bien digne d’éloges. 

Lorsque les eaux, envahissant les quartiers bas, refoulaient les populations sur les hauteurs, un domestique de la maison Gardon parcourait à cheval les rues inondées et invitait tous les malheureux à se rendre à la fonderie. Lorsque la gondole à vapeur, de retour de son premier voyage d’exploration sur les communes de Feillens, d’Asnières et de Replonges, a débarqué au faubourg Saint-Antoine, une trentaine de femmes et d’enfants arrachés de leurs habitations en ruines et que ces infortunés, affamés et demi nus, suivirent tristement le cours de l’Evêque Moreau pour aller à l’hospice, nous vîmes les dames Gardon s’avancer elles-mêmes sur la voie publique pour en recueillir quelques uns. 

Le chef de cette maison respectable se trouvait à Lyon au commencement de nos désastres. A peine de retour parmi nous, samedi dernier 7 novembre, M. Gardon a frété la gondole à vapeur n°5 et s’est dirigé avec des arques de sauvetage, des vivres, du sel, etc, sur la commune de Cormoranche où il possède une propriété considérable. Sa vaste maison, bâtie en pierre, est la seule qui soit restée debout. Il y a installé des habitants qui étaient sans asile et a pourvu abondamment à leurs besoins. Depuis, la gondole a fait plusieurs voyages à Cormoranche et y a toujours porté des farines, du vin et des provisions de toutes espèces. C’est ainsi que l’on fait un noble usage d’une grande fortune». 

LAMARTINE ET GARDON 

En 1831, J-B Gardon est élu deuxième sous-lieutenant de la Garde Nationale. Une compétition s’instaure entre Lamartine et Gardon pour le poste de colonel de la Garde Nationale. 

«Le 17 juin 1834, Lamartine se présente au poste de colonel. On lui préfère un certain Godet. A cette époque, la Garde Nationale de Mâcon est forte d’environ 1 400 personnes, compte 4 canons de campagne, 930 fusils, 80 mousquetons et 200 sabres. Le 14 février 1841, 82 officiers sont convoqués pour élire 10 candidats au grade de colonel» 

Jean-Baptiste Gardon obtient 58 voix et est nommé colonel par le roi. En 1844, l’affaire des portefaix, révolte au port de Mâcon, fait quatre morts et quinze blessés. Gardon intervient pour séparer les combattants, et prend en charge une quinzaine d’enfants, dont les pères sont emprisonnés. 

Le 4 mars 1844 et le 9 avril 1848, Gardon est réélu avec une confortable avance sur Lamartine. 

«On peut juger ainsi de la popularité de Gardon, due à la fois à sa personnalité et à l’évolution de ses convictions politiques, sous probablement de Lamartine».

En 1835, Lamartine dénonce à la Chambre le dénuement des classes ouvrières, en reprenant les termes de son ouvrage de 1831 «La politique rationnelle». 

Dans son discours au Conseil général de Saône(et-Loire du 14 septembre 1842 : 

«Il faut donner une âme à l’industrie et prévenir ainsi son plus grand vice, l’endurcissement de coeur qu’elle produit dans les peuples qui font leur dieu de la richesse...» 

Lamartine dédicacera son portrait à Gardon. Ce tableau est toujours présent dans les bureaux de l’entreprise Schlumberger. 

Républicain convaincu, Gardon organise le 10 septembre 1848 la Fête de la Fraternité, dans une prairie à 3 km de Mâcon. 12 personnes défilent devant le buste de Lamartine pour la revue des troupes suivie d’une grande fête, danse, pique-nique, feux d’artifice. 

Le Journal de Saône-et-Loire relate le retour des gens épuisés jusqu’à Mâcon : 

«Un garde national porte sur son épaule son enfant endormi, tandis que sa femme tient le fusil avec une certaine crainte… Toutes les vieilles distinctions sociales sont complètement effacées devant l’égalité de la contredanse». 

 La République était en danger, tous ces frères d’armes l’ont sauvé. 

Les commémorations 

Outre le transfert de la fontaine Gardon au centre du rond point du même nom, le 20 mai 1992, il y eut d’autres occasions de rappeler le souvenir des Gardon. 

9 octobre 1982 : inauguration de la plaque commémorative, installée face à la place Gardon, devant le Clos de la Bigeonnière, bâti sur l’emplacement des anciennes usines Seguin. 

Les mots gravés sur la plaque sont sybillins : 

 «Ici fut édifié en 1798 par Benoit Gardon une fonderie de cuivre, première entreprise industrielle à Mâcon, transférée en Z.I. des Bruyères en 1965 par Amédée Seguin. Hommage de la Ville – 1982»

Dans son discours d’inauguration, M.A. Rognard maire de Mâcon, évoque «ces fabrications industrielles qui ont fait, à côté des vins et des vignobles, la renommée de Mâcon». Il s’ attache à démontrer que Mâcon, compte tenu de sa position privilégiée, a des atouts non négligeables pour une industrialisation future: «le devenir de notre ville doit prendre ses sources dans le passé pour trouver les forces nécessaires à la réalisation de son avenir industriel». 

Le journal «Le Progrès» du 10 octobre 1982 titre : «DES BRIQUES SYMBOLIQUES PLACE GARDON» 

Le souvenir dans la simplicité : telle semble être la caractéristique essentielle du nouveau monument inauguré hier après-midi Place Gardon, plus symbolique qu’évocateur. Trois murets de brique, rappelant un four, et au centre, une plaque commémorative».


GARDON & RENARD 

En 1866, J-B. Gardon, malade, crée la société «Gardon Père & Fils et Renard» avec son  neveu Claudius Renard et deux négociants Perret et Voituret qui avaient acheté la part de  la manufacture qui revenait à la sœur de Jean-Baptiste, Emilie. L’effectif est alors de 180  ouvriers. 

A partir de 1870, la production s’oriente de plus en plus vers la robinetterie de bâtiment (adduction et puisage) et la robinetterie d’usine, au détriment des flambeaux, lampes à essence, casses à boire… L’entreprise existe depuis 70 ans. Cet exemple vivant de création industrielle fait des émules à Mâcon, en fonderie de cuivre et de bronze, mais peu arrivent à passer le cap des premières années : 

- Nuguet, Voituret et Chaland, fonderie de cuivre et de bronze, , création en 1864. M. Louis Thévenin, qui apporte un capital de 50 000 F. Le 12 novembre 1867, la société est dissoute d’un commun accord des cinq comparants. 

- Jules Nuguet et Bernardot, fonderie de cuivre et de bronze, création en 1893, dissolution en 1896. 

- Paillard et Chartier, fonderie de cuivre et de bronze, création en 1914, dissolution en 1923. 

En 1867, d’autres entreprises font leur apparition (dont les ateliers Bergeaud, fonderie de fer et constructions mécaniques) et enlèvent à Gardon la place d’unique entreprise industrielle de Mâcon, place tenue pendant 70 ans. 

Cette stagnation industrielle de Mâcon s’explique certes par l’éloignement des lieux de production des matières premières (houille, minerai), mais aussi par le manque d’esprit d’entreprise industrielle et l’indifférence des capitaux mâconnais qui se placent plus volontiers dans le négoce (vin…). 

En 1878, les Gardon n’ayant laissé aucun héritier mâle pour assurer la pérennité du nom, l’entreprise «Gardon, père et fils et Renard» qui emploie 200 ouvriers est rachetée par les frères Thévenin. 

1878- 1908 THEVENIN FRERES 

1898 – 1928 LOUIS SEGUIN 

L’usine du Breuil 

Forts de leur premier échec, Voituret et Chaland, anciens associés de «Nuguet, Voituret, Chaland et Robert» s’associent à Jean Renard, Flavien Constantin, Emile Guillemin, Lacharme, Calmel… pour fonder une société anonyme «Fonderie de cuivre de Mâcon», le 3 janvier 1877. 

Son siège social est 2, rue de Saône et 36, quai du Breuil. Elle loue les locaux à un certain M. Lacharme, négociant. D’anciennes cartes postales nous montrent ces bâtiments

occupés par un négociant en vins. La «Fonderie de cuivre de Mâcon» qui emploie 95 ouvriers est prononcée le 27 décembre 1881 : les frères Thevenin la rachètent. 

M. Prosper Voituret, directeur de l’usine du Breuil, dépose le 27 juin 1879, un brevet de modèle de bec de lampe essence en cuivre pour «la propriété à perpétuité dudit modèle» au dépôt des marques de fabrique et de commerce de Mâcon. 

C’est un acte peu courant dans l’industrie, contrairement à d’autres corps de métiers, comme les pharmaciens, les négociants en vins et spiritueux… Dans le registre des marques de fabrique et de commerce du12 octobre 1859 au 7 février 1941, entre «la véritable liqueur de l’abbaye de Cluny, «la Clunystine», «le champagne laxatif» du pharmacien Monvenoux qui nous conseille une flûte chaque matin, «l’ambroisie Lamartine» le 10 octobre 1890 de Mlle Mabille, tenancière de l’épicerie Mabille, le «Kola coca» du pharmacien Combaud le 1er mars 1892 qui n’eût pas le même ssuccès que son anagramme américain, on assiste à la nbaissance de marques devenues célèbres comme CIM de Maurice Combier le 20 janvier 1936 ou «Joker» le 8 avril 1936 par Henry Malvoisin, mais on trouve rarement des dépôts de modèles indutriels. 

Après le dépôt de la «Torpédo, essence spéciale pour automobile de MM. Labruyère et Eberlé, le 22 février 1912, suivi du «Vélofauteuil», cycle actionné par les pieds et dont le siège est un fauteuil et du «Vélocimane», cycle actionné par les mains, à l’usage des mutilés et des infirmes le 27 juin 1919, par MM. Monet et Goyon en personne, le dépôt de marques industrielles se développera à Mâcon avec le «vibrocasseur» de Bergeaud le 14 février 1927. 

Les Frères Thévenin 

La famille avait créé en 1820, à Lyon, une fabrique de robinetterie orientée vers les usages industriels. A ce jour du 27 décembre 1881, les frères Thévenin sont propriétaires des deux usines du cours de l'Évêque Moreau et du Breuil. 

La raison sociale devient «Thévenin frères & Cie, commerce de métaux ouvrés, fabrication». L'entreprise ne peut plus rester familiale. Son développement impose une transformation en société en commandite par actions : la «Société des fonderies de cuivre de Lyon et Mâcon, Thévenin frères & Cie» à but social, le commerce des métaux ouvrés, leur fabrication et leur vente. 

L’inventaire de l’entreprise rédigé le 3 juillet 1890 fait état d’une usine à Lyon, (celle-ci se développera en abandonnant peu à peu la fabrication de pompes et en se spécialisant dans la robinetterie industrielle), d’une «Maison» à Paris, d’une carrière de sable à Cruzilles (01) de l’usine Gardon et celle du Breuil. 

La clientèle de Lyon s’étant augmentée de celle de la Fonderie Gardon, de l’usine du Breuil, et de la Maison de Paris, est composée de négociants et de constructeurs haut côtés, des arsenaux militaires et maritimes, de puissantes compagnies industrielles, de chemins de fer et de navigation, et représente plus de 10 000 clients.


Marc SEGUIN 

Marc Seguin (1786-1875), ingénieur, physicien, reste dans l’histoire un créateur infatigable, des ponts suspendus aux bateaux à vapeur, puis aux chemins de fer avec la  mise au point de la chaudière tubulaire. Appliquée aux locomotives, cette invention fait  passer de l’allure de l’homme au pas à la vitesse de 40km/h. Alors que les locomotives  primaires étaient condamnées à transporter des pondéreux non périssables, celle de  Seguin permet d’envisager la prise en charge de passagers. 

1831 : rencontre Schlumberger-Seguin 

Le 23 octobre 1831, un industriel de Mulhouse, Albert Schlumberger, relate son voyage avec Koechlin, sur le chemin de fer Lyon-Saint-Etienne, dans un rapport à la Société Industrielle de Mulhouse : c’est une description technique et précise de la première locomotive avec chaudière tubulaire construite en 1828 pour le chemin de fer Lyon-Saint Etienne. 

M. Schlumberger marque un intérêt certain pour la qualité de ce produit Seguin. Mais il faudra attendre bien des décennies pour que les noms Schlumberger et Seguin soient associés au sein d’une même société. 

La Ville honorera le nom de Marc Seguin le 29 juillet 1956 dans une délibération du conseil municipal, donnant son nom à une portion de voie débouchant de la rue Tilladet sur le Cours Moreau. 

La rue Marc Seguin fut inaugurée le 9 avril 1957 par Louis Escande, maire de Mâcon.

 Louis SEGUIN 

En 1898, la «Société des fonderies de cuivre de Lyon et Mâcon, Thévenin frères & Cie» a pour capital deux millions de francs, pour gérants les deux frères Victor et Maurice Thévenin et une foule d’actionnaires. Victor est à la direction de la fabrication et Maurice à la direction générale des affaires de la société. 

C’est alors que Louis Seguin, Ingénieur de l’Ecole Centrale de Paris, petit-fils de Marc Seguin entre dans la société Thévenin en apportant un million de francs. Les trois associés sont co-gérants. 

Lors du décès de Victor Thévenin, l’assemblée générale extraordinaire du 9 janvier 1907 décide que seuls Maurice Thévenin et Louis Seguin resteront co-gérants. Maurice décède à son tour le 1er février 1908. L’assemblée générale extraordinaire accepte le maintien d’un unique gérant : Louis Seguin. La raison et la signature sociale deviennent «Louis Seguin & Cie». 

Sous l’impulsion de ce dernier, qui s’intéresse en même temps au moteur gnome dont il est l’inventeur avec ses frères, la société s’étend en développant ses fabrications dans le domaine de la robinetterie.

Le 27 avril 1918, la société en commandite par action se transforme en société anonyme.  La raison sociale devient «Société des fonderies de cuivre de Lyon Mâcon et Paris,  anciens établissements Louis Seguin & Cie». 

Le 27 septembre 1919, le capital est porté de 3 millions à 6 millions de francs. Le nouveau siège social est au 149, Cours Gambetta à Lyon. Le 14 avril 1928, nouvelle augmentation  de capital de 1,5 million de francs grâce à 272 souscripteurs, parmi lesquels Mme Veuve  Seguin Louis et son fils Amédée Seguin. 

Les années 1900 

Juillet 1906 : extrait du règlement de «Société des Fonderies Thévenin frères, Louis Seguin & Cie» : «La journée de travail est de dix heures, divisée en deux parties». On travaille six jours par semaine, du lundi au samedi. 

Le repos hebdomadaire est fixé le dimanche ainsi que 10 jours fériés par an, correspondant aux fêtes religieuses (Mardi-Gras, Pâques, Ascension, Pentecôte, 15 août, Noël). Il est interdit de manger dans les ateliers : un casse-croûte est toléré le matin, de 8h00 à 8h10, signalé par un coup de sirène au début et un à la fin. Le salaire est aux pièces ou à l’heure suivant la fonction. La paye est chaque samedi, avec les comptes arrêtés le vendredi soir qui précède. 

Le samedi, de 5h40 à 5h55, chaque ouvrier est tenu de nettoyer avec soin l’emplacement qu’il occupe, nettoyage ponctué de deux coups de sirène. De 5h55 à 6h00, chaque ouvrier reçoit de son contremaître son ticket de paye et la somme qui lui revient. 

A l’heure de sortie des ateliers, femmes et enfants se pressent à la rencontre du mari, du père. Comme les distractions sont rares, on se retrouve tous en famille dans un des nombreux bistrots qui ponctuent la rue Saint Antoine, et l’on y reste à discuter, en buvant du «rouge». Vers sept heures, on rentre souper, dormir avant de reprendre son poste le lendemain matin. 

Les années 1920 

L’usine fabrique toujours des flambeaux, des lampes pigeons. Elle exporte en Algérie où il est coutume d’offrir des flambeaux aux mariés. 

Les produits, les techniques de fabrication évoluent très lentement, un modèle peut être produit pendant plusieurs décennies, le bureau d’études compte une personne et l’usine deux ingénieurs pour 500 ouvriers dont 30 femmes aux ateliers de noyautage. L’horaire est de 50 heures hebdomadaires. 

Seul l’encadrement bénéficie d’une semaine de congés. C’est l’époque, où du simple manoeuvre à l’ingénieur, il suffit d’être agréé, «parrainé», pour espérer faire sa vie dans l’entreprise. 

On rentre pré-adolescent à l’usine en tant qu’»arpète», accompagné par ses parents, souvent parce qu’un père ou un proche y travaille et se porte garant ; on en sort vieillard. Les caisses de retraite n’existent pas, on travaille quasiment jusqu’à la fin de sa vie. On connaît le cas d’un ouvrier qu’on a vu travailler jusqu’à 81 ans. Les «médaillés de 30, 40 ans de boîte» sont courants, ceux de 50, voire de 60 ans ne sont pas exceptionnels.

L’usine remplit leur vie, comme elle avait rempli celle de leurs parents, comme elle règle la vie de tout le quartier Saint-Antoine. 

L’ambiance est paternaliste. Le directeur de Mâcon, M. Vernet, proche de ses ouvriers, fait le tour des ateliers chaque matin. Les ouvriers, très attachés à leur travail, sont fiers de la réussite de l’entreprise. La hiérarchie, bien établie, n’est contestée par personne. On sourit aujourd’hui de l’image d’un cadre se découvrant au téléphone pour s’entretenir avec le directeur de Lyon, M. Devaux. 

Le syndicalisme fait une timide apparition dans les ateliers. 

«J’ai commencé chez Schneider au Creusot, pour devenir contremaître dans les années 20. Il fallait aller à la messe le dimanche. Moi, mon curé m’a fait vraiment comprendre l’Evangile. Le curé Lavigne de Saint-Martin-de-Salencey, vers La Guiche, en soutane et chapeau, m’a inculqué la défense des gens dans le besoin ; sa lecture de l’Evangile m’a fait devenir syndicaliste»

1926, entrée en fonction de Jean Piffaut 

En 1926, une seule bicyclette trône au milieu de la cour, rejointe plus tard par la voiture du directeur. La plupart des ouvriers habitent le quartier. Les autres viennent de la campagne proche et rentrent le soir s’occuper de quelques arpents de terre et têtes de bétail. 1926 : Jean Piffaut, ingénieur de l’Ecole Centrale de Lyon intègre la société Seguin, où pendant 42 ans, du statut d’ingénieur à directeur adjoint, il planchera sans relâche à créer de nouveaux modèles, ou à améliorer les anciens, tout en étant un témoin discret de la vie de l’entreprise et un remarquable de la famille Gardon. 

Il dessine dans une ancienne chapelle transformée en bureau, griffonne des croquis le soir au milieu de ses huit enfants et s’attache méthodiquement à calculer le prix de revient le plus juste. 

L’entreprise reste fière d’un petit robinet de sa création, très simple, très fiable et très onéreux, qui eut un grand succès ; le SEG 1950, reconnaissable à sa manette terminée par une boule bleue ou rouge. 

1928 – 1968 Amédée Seguin 

Amédée Seguin restera président-directeur général des Etablissements Seguin, jusqu’à la  fusion avec l’entreprise Sergot en 1968. 

La plupart des grandes décisions concernant l’établissement de Mâcon seront prises à  Lyon, à la maison-mère. 

Amédée visitera mensuellement l’usine de Mâcon, respecté de tous.

Les grèves de 1936


Le 10 juin 1936, l’Union Républicaine titre : «Les ouvriers de l’usine Monet & Goyon occupent l’usine dans le calme». Le 13 juin, on peut y lire : «Les grèves, comportant l’occupation des ateliers et des usines, ont pris une grande extension à Mâcon. Mercredi matin, l’usine Monet & Goyon ouvrait la série, en débrayant quelques minutes après la rentrée du matin. Puis jeudi à 16 heures, c’était le tour des usines Chartier et Seguin. 

Enfin, hier matin, les établissements Charmont et les ateliers Bergeaud faisaient la grève sur le tas. Dans la soirée, la filature et les ateliers d’Auterive, rue Gambetta, suivaient le mouvement. En même temps, on signalait un mouvement chez les ouvriers de l’entreprise Palacios et une réunion du Syndicat du Bâtiment se tenait à la Maison du Peuple. On donnait aussi comme imminent des grèves chez Labruyère et à la Compagnie du Gaz». 

Les anciens s’inquiètent pour les jeunes, ont peur qu’ils fassent des bêtises et sont sidérés par leurs revendications : «ils veulent des vacances… et payées». Les jeunes de 36 se souviennent aujourd’hui avec fierté comme il avait été malcommode de fixer un drapeau rouge en haut de la grande cheminée de Seguin. 

Le 17 juin, «samedi soir, on apprenait que chez Monet & Goyon et à la fonderie Seguin, la grève était terminée. Les salaires ont augmenté, les congés payés sont établis, ainsi que la semaine de quarante heures. Comme l’ouvrage ne manque pas, on travaille toujours autant, mais on est rémunéré en heures supplémentaires. 

La guerre 39–45 

Le 1er septembre 1939 : mobilisation générale. L’usine est réquisitionnée pour fabriquer des têtes d’obus, tout en continuant la robinetterie.  

Chaque mois, entre 5 000 et 10 000têtes de graines d’obus de 75 sont produites à Mâcon. En acier, vissées sur la douille de l’obus, elles servent de logement au percuteur. 

10 mai 1940 : offensive allemande. On prend soin de dissimuler tout un stock de têtes d’obus à l’arrière du magasin du Breuil. Sagement empilées par palettes, protégées de la rouille par du papier huilé, elles passent la guerre bien à l’abri. Si bien cachées, qu’on les retrouve en 1949. L‘armée française les rachète et les adapte sur les nouveaux mortiers de 81. 

Pendant la guerre, les ouvriers sont mobilisés, certains sont faits prisonniers. L’usine embauche alors les femmes de prisonniers et un bon tiers de l’effectif se féminise. Après la guerre, une grande partie d’entre elles continuera à travailler. 

L’après-guerre 

A Mâcon, l’Ecole d’Artisanat, située sur le quai Jean-Jaurès, à peu près à l’emplacement  de l’actuelle Inspection du Travail, prépare en 3 ans à différents CAP : outilleur, fraiseur,  tourneur, ajusteur, dessinateur industriel… 

On rentre alors chez un patron et on y reste. On connaît peu la mobilité. C’est aussi l’époque où l’on peut quitter un patron le vendredi soir, et en retrouver un le lundi matin. 

On ne perd pas de temps à l’entretien d’embauche : pourvu que les postulants présentent une carte d’identité, sachent lire et écrire (pour les ouvriers français), on n’en exige guère plus, l’apprentissage d’un poste étant rapide. 

Les ouvriers sont payés en liquide, chaque quinzaine ; le caissier retire l’argent en espèces à la Société Générale, et le rapporte paisiblement, dans sa sacoche, à pied ! Tout le monde travaille à la prime, est payé en fonction du nombre de pièces réalisées (en dessous d’un certain plafond). 

Établir la fiche de paie des 500 ouvriers, sans machine à calculer digne de ce nom, n’est pas chose aisée : on calcule le salaire dû en fonction du nombre de pièces réalisées, on divise par le nombre d’heures effectuées pour établir le coût horaire de chacun. 

Pendant longtemps, tout le monde effectue 49 heures par semaine : 9h par jour et 4h le samedi matin. L’usine ferme 15 jours, du 1er au 15 août. La journée commence à 7h avec une pause d’1/4h le matin. Soit on casse la croûte sur les établis, soit l’on grille une cigarette dehors. L’arrêt repas permet de rentrer chez soi. La sortie de 17h30 lâche une volée de piétons et de bicyclettes sur la chaussée. 

On forme une grande famille, à l’esprit de clocher. L’ambiance est excellente. «On allait au boulot le lundi matin le sourire aux lèvres». 

Régulièrement le vendredi soir, la vingtaine de personnes composant la direction, les cadres et la maîtrise va «casser la croûte» chez Tonton, rue de Paris, et paraît-il, on n’y pas parle souvent de travail. 

Tous les ans, le PDG M. Amédée Seguin, préside un repas réunissant l’encadrement.